Pendant vingt ans, Nachum Pachenick a connu l’enfer. Après avoir été victime de violences sexuelles, il a subi, pendant deux décennies, un trouble de stress post-traumatique. Les symptômes étaient tels qu’il était incapable de mener une existence sereine jusqu’à ce qu’il ait accès à un traitement expérimental à base de MDMA, la molécule de l’ecstasy.
Avant le traitement, c’était une vie remplie de stress, de pressions, de nervosité, d’anxiété, de fatigue. C’était comme être au volant en appuyant à fond sur l’accélérateur et rester passif.", raconte l’Israélien de 46 ans dans sa maison à Sde Boaz, une colonie non approuvée par le gouvernement israélien située en Cisjordanie occupée, au sud de Jérusalem.
En 2014, Nachum Pachenick entrevoit une issue. On lui propose, ainsi qu’à d’autres patients, de participer à des essais cliniques dans le but de soigner les troubles de stress post-traumatique. Plusieurs substances sont administrées, dont la MDMA.
Nachum Pachenick a pris part à la deuxième phase d’une série de trois tests menés dans plusieurs pays par une association californienne, la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS). Celle-ci espère obtenir le feu vert de l’Agence américaine du médicament (FDA) pour légaliser cette thérapie à partir de 2021.
Des résultats étonnants et encourageants
Après avoir participé aux tests, Nachum Pachenick a constaté la différence avec ce qu’il avait vécu auparavant : "J’ai tout essayé, mais je n’y arrivais pas vraiment… Les symptômes de stress post-traumatique étaient très forts, donc je n’y arrivais pas. Il y a eu un peu de thérapie avec l’art qui m’a un peu aidé, mais rien ne m’a aidé comme ce traitement (avec la MDMA). Le traitement m’a remis sur les rails mais, plus profondément, m’a ramené à la maison, à moi-même ", explique Nachum Pachenick.
Les résultats des deux premières phases ont été "extraordinaires", affirme le Dr Keren Tzarfaty, psychologue chargée de former les médecins pour la MAPS en Israël. Le médecin constate les améliorations obtenues par les patients : "Un an après la fin de leur traitement, on constate que 68% des personnes ayant reçu une thérapie incluant de la MDMA n’ont plus de syndrome de stress post-traumatique ou ne sont plus définies comme souffrant de cette pathologie", explique le Dr Tzarfaty.
Pour le Dr Keren Tzarfaty, ces résultats sont d’autant plus impressionnants que "les personnes qui sont venues nous voir avaient tout essayé, en vain ".
Effets indésirables inconnus
Cependant, même si ces tests permettent d’entrevoir une réelle amélioration pour les victimes de troubles post-traumatiques, certains experts préfèrent rester prudents. Selon eux, il faudrait encore mieux cerner les éventuels effets secondaires et effets à plus long terme de cette thérapie. Il faudrait aussi réaliser des tests sur un plus grand échantillon, car en Israël, seulement 14 patients ont participé à l’essai clinique.
Déjà en 2018, une étude publiée par The Lancet Psychiatry, suggérait d’administrer de l’ecstasy aux militaires traumatisés. Les chercheurs avaient cependant exprimé leurs réserves en cas de généralisation de la molécule MDMA dans les traitements psychiatriques. L’étude mettait aussi en évidence la présence, chez certains participants, d’effets indésirables causés par la MDMA : angoisses, dépressions, épuisement, maux de tête, tensions musculaires et insomnies, notamment.
Une autre question se pose également : peut-on administrer une substance jusqu’à présent illégale qui remplit les poches des narcotrafiquants.
La MAPS, l’association californienne à la base de cette étude a lancé la troisième et dernière phase de tests mi-2019, avec toujours 14 patients.
Parallèlement, puisque la demande pour ce type de traitement est supérieure aux 14 places disponibles, le ministère israélien de la Santé s’est autorisé à lancer ses propres tests. Un programme pilote a débuté pour "50 personnes souffrant de stress post-traumatique et résistant aux autres formes de traitement", explique le Dr Bella Ben Gershon, chargée du dossier. 30 médecins israéliens ont aussi été formés pour travailler sur ces thérapies à base de MDMA.
Traumatismes à cause d’agressions sexuelles ou de la guerre
La plupart des Israéliens ayant pris part aux essais cliniques souffraient de traumatismes liés à des agressions sexuelles. " Mais dans un pays ayant traversé plusieurs conflits armés et où le service militaire est obligatoire, les taux de stress post-traumatique sont plus élevés qu’ailleurs ", note le Dr Ben Gershon. " Le gouvernement a donc l’obligation morale de tenter de soulager ceux qui en souffrent ", estime le Dr Tzarfaty. Le traitement expérimental se décline en 12 à 15 sessions, sous la supervision de deux professionnels de santé, un homme et une femme. La MDMA est administrée sous forme de pilule dans un environnement contrôlé et lors de deux ou trois sessions, pour permettre aux patients de s’ouvrir sur eux-mêmes et les autres. Selon le Dr Tzarfaty, ces essais marquent un redémarrage des recherches sur les substances psychédéliques et leur utilisation en psychiatrie.
La MDMA : une vieille " drogue "
La substance utilisée dans ces tests, la MDMA, est une très ancienne molécule. Elle a été créée il y a plus d’un siècle, en 1912, par les laboratoires allemands Merck. "La MDMA est connue pour renforcer le sentiment de communion, elle supprime toutes les défenses", remarque le Dr Ben Gershon. "Cette drogue déclenche chez les patients de la joie et de l’empathie, deux émotions dont ils ont besoin afin de commencer à traiter le traumatisme en psychothérapie", selon le Dr Tsarfaty.
Nachum Pachenik, lui, estime que cet essai clinique l’a libéré de ses principaux démons : "Le traitement m’a remis sur les rails mais, plus profondément, m’a ramené à la maison, à moi-même", explique-t-il. "Je suis bien plus calme aujourd’hui. J’ai une famille qui m’est très chère. Auparavant, tout était très instable. J’ai ma femme, mes enfants. Je suis en train de me former à un métier, en tant que thérapeute. J’ai une vie saine, autant que je peux, je me maintiens en forme, je mange sain et équilibré. Je vis ma vie.", conclut le patient.
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