Greta Thunberg est partout !
Faut-il écouter notre dernier phénomène médiatique, la célèbre adolescente suédoise qui milite contre le réchauffement climatique ?
Bien sûr, avec à la fois attention et précaution. Greta ou les inspirateurs de ses discours s’appuient beaucoup sur la science, les scientifiques, le GIEC - Groupe International sur l’Evolution du Climat / International Panel on Climate Change (IPCC) - et d’autres sources raisonnablement sérieuses. Ce qu’elle nous dit sur l’état de la planète ou du climat est assez peu controversé. Son effort de sensibilisation est, pour le moins, le bienvenu.
Un discours à certes nuancer
Pourquoi y appliquer le principe de précaution alors ? Justement parce que Greta elle-même applique ce fameux principe de manière un peu sélective, quelque peu naïve et parfois même inefficace.
Accusée par certains de diaboliser le nucléaire, force est de constater qu’elle tombe, de bonne ou de moins bonne foi, dans le piège habituel de l’idéologie écologiste, qui n’arrive pas à renoncer à ses racines anticapitalistes : l’exemple frappant est l’omission totale, et même des recommandations dans le sens opposé, d’une des conclusions pourtant claires du GIEC, à savoir que l’on devra conserver sinon augmenter la part du nucléaire dans le mix énergétique pour encore quelques décennies si on veut effectivement des trajectoires réduisant l’empreinte carbone (et donc une petite chance de tenir 1,5 ou 2 degrés).
C’est très mal vu de le dire, mais c’est un fait, et c’est le GIEC qui le dit : les politiques allemande, belge ou même peut-être française sous peu de fermeture de centrales sont néfastes au climat. Le remplacement par du renouvelable intermittent demande obligatoirement du fossile et donc du CO2 pour pallier l’intermittence, sauf à entreprendre des investissements massifs et peu réalistes dans des renforcements des réseaux (lignes à haute tension) ou du stockage (barrages / stations de transfert d’énergie par pompage STEP) à peine plus populaires et plus favorables à l’environnement que le nucléaire lui-même.
De manière plus générale, et toujours avec un fond d’anticapitalisme un peu primaire, Greta nous suggère un tableau évidemment insoutenable de "croissance infinie dans un monde fini", dont nous serions "coupables" (nous les vieux occidentaux capitalistes et colonialistes) et qu’il faudrait évidemment combattre. Elle aurait raison si ce tableau correspondait à la réalité mais ce n’est pas le cas, et c’est là que les précautions s’imposent quant aux recommandations résultantes, car nos ressources sont évidemment limitées et nous devons les investir là où c’est à la fois efficace et réaliste.
Coller davantage à la réalité
Pourquoi la litanie de "croissance infinie dans un monde fini" ne correspond-elle pas à la réalité ?
Croissance infinie : en Europe occidentale et au Japon, la croissance est terminée depuis longtemps (très longtemps au Japon). Ceci vaut tant pour la croissance économique que démographique. Le reste du monde plafonnera aussi, dans les deux domaines, dans les prochaines décennies. Il est important de constater à la fois que l’on se dirige vers une croissance au mieux molle généralisée, mais que l’on ne pourra pas empêcher ceux qui ne sont pas encore à notre niveau d’y aspirer et donc de continuer à croître tant que l’écart n’est pas résorbé. On ne les en empêchera pas ni moralement ni autrement. Une des conséquences est qu’il est peu réaliste de leur parler de décroissance ou même de sobriété pour l’instant, et c’est déjà difficile chez nous, comme l’ont aussi montré les fameux gilets jaunes.
Monde fini : évidemment la planète a ses limites, et on n’exploitera pas le reste de l’univers avant très longtemps. Cependant, à notre échelle, cette planète n’est pas aussi finie qu’elle en a l’air : nous n’en avons exploité qu’une fraction infime et il reste des marges considérables tant en volume (profondeurs, océans) qu’en technologies. A nous d’utiliser ces marges intelligemment, le gaz de schiste étant un contre-exemple frappant et on l’espère très temporaire. D’autres ruptures technologiques, dé-carbonées celles-ci, sont, on l’espère, à notre portée (au sens de la technologie mais aussi de la compétitivité, essentielle à leur adoption) dans les quelques décennies nécessaires à la croissance mondiale pour plafonner. Citons ici les espoirs de batteries plus légères et plus recyclables, les piles à combustible et l’hydrogène, les énergies tirées directement de la houle ou des marées, des progrès sur la géothermie, la fusion nucléaire, et bien d’autres.
Restons donc optimistes, et écoutons Greta avec attention et précaution. En parallèle, si son message apparaît alarmiste voire catastrophique, il ne doit pas décourager notamment l’Europe de rattraper son retard technologique et de se diriger vers un monde réellement plus respectueux de son environnement.
Stéphanie Heng, politologue et experte en communication
Alban de la Soudière, polytechnicien et fonctionnaire international
Stéphanie Heng est une politologue et experte en communication. Elle est diplômée de l’Institut d’études politiques de Strasbourg, du Collège d’Europe et d’un MBA de la Solvay Brussels School of Economics and Management (Bruxelles). Elle exerce, depuis une dizaine d'années, des fonctions de cadre de direction chargée des stratégies de communication d’entreprises internationales actives dans différents secteurs (finance, armement, chimie, etc.). Elle s'est présentée sur la liste DéFI du Brabant wallon pour la Chambre aux dernières élections fédérales.
Alban de la Soudière mène une carrière internationale, du ministère de la Défense français à l'OTAN. Il est actuellement fonctionnaire international dans une agence de l'OTAN. Il est un ancien membre du Think thank "Europe et Défense", un club dé géopolitique basé à Bruxelles. Il est chevalier de la Légion d'Honneur en France, également décoré par la France et l'OTAN pour participation à des opérations extérieures (Kosovo, Afghanistan).
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