A mesdames Carmen Ramlot, Anne Laffut et à messieurs Philippe Bontemps, Elie Deblire, Francis Demasy, Marc Gauthier, Vincent Wauthoz, François Kinard, Vincent Magnus, Bernard Moinet, Alain Deworme, Guy Gilloteaux, Michel Jacquet, Benoit Piedboeuf, Yves Planchard, Philippe Courard, Francis Steifer, président et membres du Conseil d’administration d’Idelux, à Mesdames et Messieurs les observateurs et les invités du Conseil.
Je vous écris de ma jeune soixantaine. Vous connaissez peut-être mon nom, il vous rappellera alors l’Opération Villages Roumains en 1988 où avec les communes de Belgique et d’Europe – dont toutes les communes de la province du Luxembourg – nous avions combattu et vaincu le plan de destruction de milliers de villages par le pouvoir roumain, sous Ceausescu.
Il vous rappellera aussi les guerres de Yougoslavie où nous avions bâti au cœur même de villes en conflit des “ambassades de la démocratie locale”, avec les communes et les villes d’Europe – et même avec le Conseil de l’Europe – et de nouveau avec les communes du Luxembourg.
Il vous rappellera peut-être aussi le G1000, avec David Van Reybrouck et bien d’autres, lançant un processus participatif dont l’influence et l’héritage sont durables, par exemple en Communauté germanophone toute proche où existe désormais un parlement des citoyens.
Il vous évoquera aussi peut-être les chroniques que je tenais à la radio publique et où je m’échinais à rappeler que la terre est ronde, même si l’écran est rectangulaire.
Si je viens vous trouver sur votre écran rectangulaire, c’est pour cette même raison : parce que la terre est ronde. Et aussi parce que je dois bien vous l’avouer : vous m’avez l’air de tourner carré.
Mais je viens à vous en confiance : parmi vous 11 conseillers sur 14 sont des baby-boomers, comme moi. J’ai donc quelque espoir qu’ils se souviennent de ces moments où les communes et les citoyens ont participé pleinement à l’histoire de leur temps.
Dans quelques heures, vous allez avoir à décider du sort de la Zad de la Sablière d’Arlon et, partant, de l’avenir de la Sablière même. Vous pourrez voter l’expulsion des zadistes, vous pourrez faire place nette pour le zoning industriel que vous projetez.
Je voudrais vous dire que nous avons une chance, vous et nous aujourd’hui. Cette chance, c’est que vous soyez les premiers à arrêter la main de ce qui nous blesse. La Sablière n’est pas la seule situation qui préempte aujourd’hui notre avenir. Bien des choses qui n’ont pas commencé exigent de ne pas être entamées. C’est le cas de la 5G, de Ali Baba, des contournements routiers et autoroutiers et de cent autres situations et bien entendu de la transformation de 31 hectares de sablière en zoning industriel. De gros dossiers qui vont impacter et influencer notre avenir écologique et aussi social sont sur la table. N’aggravons pas la situation avec des projets dont nous pouvons déjà discerner l’impact négatif sur l’environnement carbone et sur le vivant.
C’est là notre chance, votre chance, d’être les premiers à faire jouer le principe de précaution. En pleine COP 25. Vous pouvez faire cela.
Vous le devez aussi.
Car sinon, c’est reconnaître que le monde est destiné à aller " comme ça ", parce qu’on a toujours fait " comme ça ". C’est-à-dire l’inverse de ce progrès que vous semblez appeler de vos vœux.
Car sinon, quel signal montrerez-vous ? Que vous n’avez pas compris le danger qui nous guette ou plutôt que, l’ayant compris, vous choisissez de l’aggraver plutôt que le combattre ?
Voyez-vous, on appelle partout à une écologie des petits gestes, à économiser l’énergie, à trier ses déchets, à limiter son empreinte carbone et voilà que le bétonnage de 31 hectares compterait pour rien ? N’aurait aucune influence ? Vous pensez vraiment cela ?
Avez-vous par exemple fait l’exercice du coût en carbone de votre projet de destruction et de bétonisation ? L’avez-vous fait ? Avez-vous calculé combien va nous coûter, collectivement, l’abattage des arbres, le retournement des terres, la bitumisation, la construction d’entrepôts et d’ateliers, le charroi qui en partira, les produits que l’on y fabriquera, avez-vous calculé cela ? Je vous pose la question : peut-on véritablement lancer un tel projet sans avoir fait ce calcul ?
Chaque mètre carré retourné, chaque arbre abattu sapent un peu plus les possibilités que nous aurons, collectivement, de rendre la planète habitable pour les générations déjà nées et à naître. Prenez vos calculettes, calculez.
Je ne vous appelle pas à la raison puisque la raison est précisément ce que vous invoquez pour défendre votre projet. Non, je vous appelle au déraisonnable, à l’audace. Je vous appelle au risque plutôt qu’au danger. Je vous appelle à permettre à l’avenir de venir.
N’expulsez pas la ZAD. Et si vous ne pouvez arrêter tout de suite ce projet insensé, votez au moins un moratoire pour le zoning. Afin de permettre aux opposants de calculer cette dépense carbonique dont je viens de parler, de construire leur dossier et de le comparer au vôtre. Cela me paraîtrait de saine justice.
Et tant que j’y suis, je vous demanderai aussi de fournir les moyens financiers de cette contre-expertise. Vous savez, un citoyen qui paie des impôts, dont une part sert à financer vos études, doit pourtant repayer une deuxième fois s’il décide de contester tel ou tel projet. Par exemple, si vous décrétez que tel arbre doit être abattu parce qu’il est malade je n’ai pas d’autre choix que de payer moi-même une contre-expertise si je veux prouver le contraire. Vous voyez, rien n’est juste dans ces affaires. Vous n’avez pas à vous encombrer de payer de votre poche vos opinions. Nous, si. Et vous n’avez pas à dormir dans les bois dans un automne brumeux et froid pour vous faire entendre. Eux, si. Vous savez, ces zadistes que vous voyez comme des dangers encagoulés sont peut-être parmi les plus sensibles de vos fils et vos filles.
Vous devriez être fiers que l’on défende votre région. Et tant pis s’ils ne sont pas d’Arlon ou si elles ne sont ni luxembourgeoises ni peut-être même wallonnes. Et alors ? Est-ce qu’Arlon serait à Arlon ce que l’Amazonie serait à Bolsonaro ? Chacun chez soi quand le feu brûle partout ? Ce monde dont le cœur et l’esprit rétrécissent peut en effet penser comme ça. Et croire qu’il est des choses qui appartiennent quand même la pluie qui tombe nous est donnée.
Nous avons une chance aujourd’hui, vous et nous.
Soyez les premiers.
Une ardeur d’avance.
Je vous souhaite une excellente réunion.
Paul Hermant est chroniqueur, marcheur et acteur des temps présents, grain de sable.
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