Il y a deux jours, la Méditerranée a connu l'une de ses pires tragédies depuis le début de l’année. Selon le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, plus de 145 migrants ont disparu, au large de la Libye, alors qu'ils tentaient de rejoindre les côtes italiennes. Avec ce nouveau drame, le total des victimes noyées en tentant de rejoindre l'Europe est de plus de 571 personnes. Ce bilan fait de cette route dite de la "Méditerranée centrale", reliant la Libye à l'Italie, la plus meurtrière parmi les routes maritimes empruntées par les migrants pour rejoindre l'Europe. En 2018, le bilan était de 1314 morts, selon les chiffres publiés par l'Organisation Internationale pour les migrations.
Sur cet itinéraire appelé "la route de la Méditerranée centrale ", le nombre d’arrivées a continué à baisser depuis 2017. En 2018, 23.400 migrants sont entrés en Italie.
Outre ce parcours entre la Libye et l'Italie, il y a deux autres routes migratoires en Méditerranée:
- La Méditerranée occidentale
En 2018, cette route qui relie le Maroc et l'Espagne, était la principale voie d'accès maritime à l'Europe, avec plus de 65.000 arrivées sur le sol espagnol, d'après les chiffres publiées par l'OIM. En 2017, les arrivées se chiffraient à 29.000.
- La Méditerranée orientale
Elle relie la Turquie à la Grèce. En 2018, 50.215 migrants ont fait leur entrée en Europe via cette route. A partir de 2016, cette route s'est pourtant tarie, passant de 900.000 migrants arrivés à 35.000 en 2017. Mais, d'après les statistiques publiées en date du 23 juillet 2019 par l'Organisation Internationale pour les migrations, cette route de la Méditerranée orientale est de nouveau la première porte d'entrée en Europe avec 22.000 arrivées, contre 3.600 pour l'Italie et 15.000 en Espagne.
D'une année à l'autre, les parcours empruntés par les migrants restent les mêmes, mais ceux qu'ils privilégient changent. Par exemple, en 2017, c'était la route de la Libye vers l'Italie qui était la plus empruntée avec 119.369 arrivées dans les ports de la Péninsule. En 2018, ce montant a diminué de 80%. Et comme indiqué ci-dessus, en parallèle, le nombre d’arrivées a augmenté sur les côtes espagnoles et le Maroc est devenu le principal point de départ des migrants vers l’Europe en 2018. Pourquoi ces changements? "Les routes fluctuent en permanence chaque fois que les contrôles aux frontières sont renforcés. En 2015, la route de la Méditerranée orientale était la plus empruntée, et puis en raison de l'accord entre la Turquie et l'Union Européenne, lequel prévoit le renvoi des migrants entrés illégalement en Grèce, en Turquie, contre l'aide d'Ankara pour maintenir les migrants à ses frontières, elle a connu un coup d'arrêt brutal. Les voies de la Méditerranée centrale et celles reliant le Maroc et l'Espagne, ont été réouvertes et de nouveau plus empruntées par les migrants, "précise Denis Duez, expert en migrations à l'Université Saint-Louis Bruxelles.
"Dans l'actualité d'hier et d'aujourd'hui, on constate aussi que les chances d'arriver en Italie sont très petites, en raison de la politique restrictive d'accès menée par le gouvernement italien," précise le directeur du Centre d'Etudes de l'Ethnicité et des Migrations, Marco Martiniello. En février 2017, le gouvernement italien a conclu un accord avec les garde-côtes libyens. Les garde-côtes libyens sont formés et financés, via des subventions européennes, pour intercepter les bateaux de migrants afin de les sauver de la noyade. "Et donc, le détroit de Gibraltar redevient une des voies privilégiées. En outre, l'Espagne a une politique plus ouverte envers les migrants. Les Espagnols n'ont pas de discours haineux envers les migrants. Ils insistent plutôt sur un discours type "arrêtons ce cimetière humain", "précise le directeur du Centre d'Etudes de l'Ethnicité et des Migrations, Marco Martiniello.
Combien de morts en Méditerranée?
Si le nombre d’arrivées a diminué ces trois dernières années, le nombre de morts en Méditerranée a lui aussi baissé, en comparaison du plus fort de la crise des réfugiés en 2015-2016 avec plus de 4.000 personnes noyés et plus de 5.000 en 2016. Mais, comme l’affirme un rapport du Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés publié en 2018, il reste élevé. L’année dernière, 2275 réfugiés et migrants ont perdu la vie, noyés dans les eaux méditerranéennes, soit une moyenne de 6 morts par jour, au large des côtes libyennes, suite au chavirage de plusieurs bateaux.
Sur la voie maritime permettant de rejoindre l’Espagne, le nombre de morts a quadruplé entre 2017 et 2018, en raison, selon le HCR, de bateaux impropres à la navigation ou envoyés en mer malgré de mauvaises conditions météorologiques. Enfin, toujours en 2018, plus de 120 migrants ont trouvé la mort en tentant de rejoindre la Grèce.
Depuis janvier 2019, on note un nombre de décès en baisse par rapport à la même période en 2018. Mais l’année n’est pas terminée et le bilan pourrait donc encore s’alourdir, faute de solutions pour assurer des voies légales d’accès en Europe, et faute de politique efficace de sauvetage en mer. Et malgré les accords avec le Maroc, la Libye ou la Grèce pour qu’ils renforcent les contrôles à leurs frontières, malgré la dangerosité de la traversée, la volonté de partir sera toujours plus forte d’après Marco Martiniello. " Ces migrants sont tellement désespérés qu’ils tenteront la traversée. La situation est identique à celle à la frontière avec les Etats-Unis. Elle est devenue tellement intenable qu’ils n’ont pas d’autre choix que de partir. " La Méditerranée restera un cimetière humain tant que des alternatives plus sûres ne seront pas trouvés, comme l'a plaidé la Haute Représentante de l'Union Européenne, Federica Mogehrini. "Il faut des alternatives sûres et dignes aux traversées maritimes dangereuses",et elle préconise"des réinstallations et des retours volontaires hors de Libye pour éviter de nouvelles pertes en vies humaines". Elle a également réclamé "des capacités de recherche et de sauvetage adéquates" pour l'Union européenne.
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