Ce week-end, en Roumanie, la population s’est mobilisée en masse pour demander la démission du gouvernement. Un an après une manifestation historique, les Roumains réclament donc toujours du changement alors que le pays a été secoué par plusieurs drames ces derniers mois. Pour en parler, avec nous par téléphone, Ramona Coman, politologue à l’Institut d’études européennes de l’ULB et spécialiste de la Roumanie. Cette manifestation qui s’est déroulée dans les rues de Bucarest samedi — on parle de dizaines de milliers de personnes — est-ce un réveil de la population roumaine ?
Ramona Coman politologue à l’Institut d’études européennes de l’ULB et spécialiste de la Roumanie nous éclaire la situation actuelle : "C’est plus qu’un réveil, c’est une prise de conscience des problèmes auxquels se confronte le pays. Il y a en Roumanie une forte perception que les institutions de l’État ne travaillent pas au service des citoyens, mais au service de quelques catégories privilégiées. Par exemple, ces dernières années, le gouvernement s’est donné pour objectif de modifier la législation dans le domaine de la justice afin de blanchir le passé judiciaire de certains membres de partis. Une des conséquences de ces réformes est que plusieurs condamnés pour des faits de corruption ou pour des crimes ont été libérés. On dit donc aujourd’hui que le gouvernement a été plus attentif au sort des condamnés en ignorant par exemple les droits des victimes et la protection des citoyens. Comme vous le disiez tout à l’heure, des exemples dramatiques, comme l’assassinat de ces deux adolescentes dans un village du sud de la Roumanie, illustrent les faiblesses les plus profondes de l’État roumain et l’ampleur de ses dysfonctionnements. Ce slogan des manifestations — " la corruption tue " — n’est pas une métaphore. Pour les citoyens qui protestent, les élites politiques ne sont pas au service des citoyens et certaines institutions non plus. On dénonce la corruption, le népotisme et le clientélisme dans les institutions publiques, l’absence d’investissements, la dégradation de l’enseignement, la pauvreté qui se généralise... Nous assistons à la formulation d’une série de revendications claires qui vont au-delà de la simple démission du gouvernement".
Rappellons l a tragique histoire de ces deux jeunes adolescentes qui ont été enlevées et assassinées, faut-il ce genre d’histoires pour permettre de changer les lignes en matière de corruption ?
Ramona Coman observe que "la mobilisation de la société ne suffit pas pour que ces revendications et ces manifestations donnent lieu à des politiques concrètes. Je crois qu’il faut aussi avoir des partis politiques dignes de ce nom, des partis capables de répondre à ces revendications, des partis capables de mener une vraie réforme, une réforme profonde de l’État. Mais la société est ouverte aux changements. Il faut alors peut-être dire que ces dernières manifestations, surtout depuis 2013, ont donné lieu à l’émergence de nouveaux partis politiques, alors que la législation électorale dans ce domaine est très contraignante. Mais ces partis qui essayent de promouvoir le changement doivent se faire une place dans un système dominé par les partis qui se sont constitués après 1989, qui ont délité la structure de l’ancien parti communiste ou qui ont été capables de mettre en place des structures qui leur permettent d’assurer leur représentation parlementaire sans trop de difficulté".
Lors de la manifestation de samedi dernier, des jeunes brandissaient des pancartes où il était écrit que le pays avance dans la mauvaise direction et qu’il n’y a aucun avenir pour les jeunes ici. Est-ce la réalité ? Est-il difficile pour un jeune en Roumanie de se projeter vers l’avenir ?
"Je pense que c’est très difficile. Comme vous le savez, il y a déjà 3,5 millions de Roumains qui vivent à l’étranger ; ces chiffres sont très parlants. Il y a des étudiants et des jeunes qui voyagent à l’étranger pour étudier et qui remportent des médailles à des concours internationaux, mais les autres, ceux qui restent, se confrontent aux dysfonctionnements d’un État qui investir très peu, voire pas du tout dans l’éducation, dans la recherche, dans la santé ou dans des politiques d’éducation tout court".
La Roumanie est pourtant entrée dans l’Union européenne en 2007. Pour cela, elle avait adopté un certain nombre de dispositions, notamment pour renforcer l’indépendance de la justice, mais après avoir intégré l’Union depuis plus de 10 ans, on a finalement l’impression que les partis au pouvoir ne veulent pas de cette intégration en détricotant toutes ces dispositions.
"La lutte contre la corruption était une exigence pour adhérer à l’Union européenne et la lutte contre la corruption a été la priorité de tous les gouvernements. En réalité, ce qui s’est passé, c’est que chaque gouvernement a mis en place des agences et des structures pour lutter contre la corruption, mais chaque parti au pouvoir a essayé de contrôler ou de freiner ces institutions dans leurs activités. La lutte contre la corruption s’est donc finalement transformée en une lutte pour le pouvoir et pour le contrôle de ces institutions" ajoute Ramona Coman.
La Roumanie vient justement d’assurer sa fonction de la présidence tournante du Conseil de l’Europe, quel bilan peut-on en tirer maintenant ?
"Je pense que le bilan est très positif. La plus grande responsabilité de la présidence est de faire avancer le processus législatif au niveau européen, c’est-à-dire la prise de décisions avec le Parlement européen et le conseil, donc cela implique la recherche de compromis entre les États membres et l’organisation d’un certain nombre de réunions dans la capitale du pays qui assure la présidence et à Bruxelles. Donc, sur base de ces critères, on peut dire sans hésitation que la présidence a été un succès, d’autant plus que cette présidence a été organisée dans une période relativement courte étant donné le contexte électoral des élections européennes du mois de mai. Ce bilan positif est donc grâce à une équipe de fonctionnaires et de diplomates qui ont été bien préparés et qui n’ont pas compté les heures de travail pour montrer, tout au long de la présidence, que le pays dispose aussi de fonctionnaires et de diplomates compétents et motivés. Tout cela s’est alors traduit en une activité assez intense et en un nombre important de procédures législatives et de décisions adoptées au niveau européen — on parlait de 80 ou 90 procédures législatives adoptées. La Roumanie a donc pu finaliser des négociations importantes dans des domaines comme le marché numérique, la flexibilité des cartes d’identité, etc. Un autre exemple était la directive sur le gaz ou l’Autorité européenne pour le travail".
Ce week-end, en Roumanie, la population s’est mobilisée en masse pour demander la démission du gouvernement. Un an après une manifestation historique, les Roumains réclament donc toujours du changement alors que le pays a été secoué par plusieurs drames ces derniers mois. Pour en parler, avec nous par téléphone, Ramona Coman, politologue à l’Institut d’études européennes de l’ULB et spécialiste de la Roumanie. Cette manifestation qui s’est déroulée dans les rues de Bucarest samedi — on parle de dizaines de milliers de personnes — est-ce un réveil de la population roumaine ?
Ramona Coman politologue à l’Institut d’études européennes de l’ULB et spécialiste de la Roumanie nous éclaire la situation actuelle : "C’est plus qu’un réveil, c’est une prise de conscience des problèmes auxquels se confronte le pays. Il y a en Roumanie une forte perception que les institutions de l’État ne travaillent pas au service des citoyens, mais au service de quelques catégories privilégiées. Par exemple, ces dernières années, le gouvernement s’est donné pour objectif de modifier la législation dans le domaine de la justice afin de blanchir le passé judiciaire de certains membres de partis. Une des conséquences de ces réformes est que plusieurs condamnés pour des faits de corruption ou pour des crimes ont été libérés. On dit donc aujourd’hui que le gouvernement a été plus attentif au sort des condamnés en ignorant par exemple les droits des victimes et la protection des citoyens. Comme vous le disiez tout à l’heure, des exemples dramatiques, comme l’assassinat de ces deux adolescentes dans un village du sud de la Roumanie, illustrent les faiblesses les plus profondes de l’État roumain et l’ampleur de ses dysfonctionnements. Ce slogan des manifestations — " la corruption tue " — n’est pas une métaphore. Pour les citoyens qui protestent, les élites politiques ne sont pas au service des citoyens et certaines institutions non plus. On dénonce la corruption, le népotisme et le clientélisme dans les institutions publiques, l’absence d’investissements, la dégradation de l’enseignement, la pauvreté qui se généralise... Nous assistons à la formulation d’une série de revendications claires qui vont au-delà de la simple démission du gouvernement".
Rappellons l a tragique histoire de ces deux jeunes adolescentes qui ont été enlevées et assassinées, faut-il ce genre d’histoires pour permettre de changer les lignes en matière de corruption ?
Ramona Coman observe que "la mobilisation de la société ne suffit pas pour que ces revendications et ces manifestations donnent lieu à des politiques concrètes. Je crois qu’il faut aussi avoir des partis politiques dignes de ce nom, des partis capables de répondre à ces revendications, des partis capables de mener une vraie réforme, une réforme profonde de l’État. Mais la société est ouverte aux changements. Il faut alors peut-être dire que ces dernières manifestations, surtout depuis 2013, ont donné lieu à l’émergence de nouveaux partis politiques, alors que la législation électorale dans ce domaine est très contraignante. Mais ces partis qui essayent de promouvoir le changement doivent se faire une place dans un système dominé par les partis qui se sont constitués après 1989, qui ont délité la structure de l’ancien parti communiste ou qui ont été capables de mettre en place des structures qui leur permettent d’assurer leur représentation parlementaire sans trop de difficulté".
Lors de la manifestation de samedi dernier, des jeunes brandissaient des pancartes où il était écrit que le pays avance dans la mauvaise direction et qu’il n’y a aucun avenir pour les jeunes ici. Est-ce la réalité ? Est-il difficile pour un jeune en Roumanie de se projeter vers l’avenir ?
"Je pense que c’est très difficile. Comme vous le savez, il y a déjà 3,5 millions de Roumains qui vivent à l’étranger ; ces chiffres sont très parlants. Il y a des étudiants et des jeunes qui voyagent à l’étranger pour étudier et qui remportent des médailles à des concours internationaux, mais les autres, ceux qui restent, se confrontent aux dysfonctionnements d’un État qui investir très peu, voire pas du tout dans l’éducation, dans la recherche, dans la santé ou dans des politiques d’éducation tout court".
La Roumanie est pourtant entrée dans l’Union européenne en 2007. Pour cela, elle avait adopté un certain nombre de dispositions, notamment pour renforcer l’indépendance de la justice, mais après avoir intégré l’Union depuis plus de 10 ans, on a finalement l’impression que les partis au pouvoir ne veulent pas de cette intégration en détricotant toutes ces dispositions.
"La lutte contre la corruption était une exigence pour adhérer à l’Union européenne et la lutte contre la corruption a été la priorité de tous les gouvernements. En réalité, ce qui s’est passé, c’est que chaque gouvernement a mis en place des agences et des structures pour lutter contre la corruption, mais chaque parti au pouvoir a essayé de contrôler ou de freiner ces institutions dans leurs activités. La lutte contre la corruption s’est donc finalement transformée en une lutte pour le pouvoir et pour le contrôle de ces institutions" ajoute Ramona Coman.
La Roumanie vient justement d’assurer sa fonction de la présidence tournante du Conseil de l’Europe, quel bilan peut-on en tirer maintenant ?
"Je pense que le bilan est très positif. La plus grande responsabilité de la présidence est de faire avancer le processus législatif au niveau européen, c’est-à-dire la prise de décisions avec le Parlement européen et le conseil, donc cela implique la recherche de compromis entre les États membres et l’organisation d’un certain nombre de réunions dans la capitale du pays qui assure la présidence et à Bruxelles. Donc, sur base de ces critères, on peut dire sans hésitation que la présidence a été un succès, d’autant plus que cette présidence a été organisée dans une période relativement courte étant donné le contexte électoral des élections européennes du mois de mai. Ce bilan positif est donc grâce à une équipe de fonctionnaires et de diplomates qui ont été bien préparés et qui n’ont pas compté les heures de travail pour montrer, tout au long de la présidence, que le pays dispose aussi de fonctionnaires et de diplomates compétents et motivés. Tout cela s’est alors traduit en une activité assez intense et en un nombre important de procédures législatives et de décisions adoptées au niveau européen — on parlait de 80 ou 90 procédures législatives adoptées. La Roumanie a donc pu finaliser des négociations importantes dans des domaines comme le marché numérique, la flexibilité des cartes d’identité, etc. Un autre exemple était la directive sur le gaz ou l’Autorité européenne pour le travail".
Comment voyez-vous votre pays en 2019 ?
"C’est une question difficile, mais je vois aussi la moitié pleine du verre. Il y a un grand nombre de problèmes, des problèmes qu’on n’imaginait peut-être pas au moment de l’adhésion en 2007 et il y a aussi un peu d’espoir, parce que comme vous l’avez dit vous-même, il y a toute cette mobilisation de la société, ce réveil et ces revendications, et j’espère que ces revendications vont un jour permettre aux élites politiques nouvelle génération de transformer le pays et de mener de nouvelles réformes qui permettront de mettre en place un État capable de répondre aux demandes de ses citoyens".
"C’est une question difficile, mais je vois aussi la moitié pleine du verre. Il y a un grand nombre de problèmes, des problèmes qu’on n’imaginait peut-être pas au moment de l’adhésion en 2007 et il y a aussi un peu d’espoir, parce que comme vous l’avez dit vous-même, il y a toute cette mobilisation de la société, ce réveil et ces revendications, et j’espère que ces revendications vont un jour permettre aux élites politiques nouvelle génération de transformer le pays et de mener de nouvelles réformes qui permettront de mettre en place un État capable de répondre aux demandes de ses citoyens".
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