Les députés devraient adopter en principe définitivement ce jeudi en séance plénière à la Chambre le projet de loi du ministre de la Justice, Koen Geens, sur le service garanti en cas de grève dans les prisons.
C’est la réponse du gouvernement à la mise en demeure que lui avait adressé le Comité européen pour la prévention de la Torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). C’était au lendemain du long mouvement de grève des agents pénitentiaires, qui réclamaient en 2016 des moyens supplémentaires pour lutter contre le manque d’effectifs et la surpopulation carcérale et qui réclamaient de meilleures conditions de travail.
Cette grève avait mis en exergue les mauvaises conditions de vie des détenus : perturbations dans la distribution de nourriture, ou de médicaments, problèmes d’hygiène, etc… Le CPT, mais également la Ligue des Droits de l’Homme ou l’Observatoire international des prisons étaient montés au créneau pour dénoncer ces conditions et réclamer un service garanti.
Le ministre de la Justice a donc déposé un projet de loi. Il doit permettre d’assurer la continuité du service pénitentiaire en cas de grève. Il encadre donc ce droit de grève (avec réquisitions possibles), organise la concertation sociale. Et il dresse la liste des services essentiels à assurer aux détenus : repas chauds, douches, promenade, soins médicaux, contacts avec les proches et visites. Un plan est ainsi défini pour chaque prison.
Les syndicats redisent aujourd’hui leur opposition à ce texte. Tant du côté de la CSC que de la CGSP. "Dans la réalité, rien ne va changer dans les conditions de détention des détenus. Cette loi c’est l’arbre qui cache la forêt. La Loi ne prévoit aucun budget, les problèmes qui existaient avant demeureront après la loi et notamment dans les prisons qui sont plus vétustes et où au quotidien il y a un manque de personnel. Les problèmes, certes sont plus exacerbés en temps de grève, mais ils sont bien présents de toute façon", explique Claudine Coupienne, secrétaire permanente Justice à la CSC.
"Cette loi ne va rien changer, juste donner l’impression qu’on a fait quelque chose. Mr Geens aura un bon bulletin, mais en réalité le manque de personnel sera toujours aussi fort, les infrastructures n’ont pas été améliorées, alors que Mr Geens l’avait promis. On empêche les agents de protester et donc de dénoncer les dysfonctionnements dans les prisons ".
Michel Jacobs, secrétaire fédéral CGSP-Amio, ne dit pas autre chose. "Ce texte ne règle que les problèmes pour les périodes de grève. Pour le reste, le ministre a fait des promesses : de remplir le cadre des agents pénitentiaires, d’améliorer les conditions de travail, et les conditions de détention. Mais il ne l’a pas fait, il n’y arrive pas. On est dans la même situation qu’il y a 2 ans. C’est un échec en termes de surpopulation carcérale. Les services que la loi exige pour les détenus en cas de grève, et bien ils ne sont même pas garantis en temps normal".
Et Michel Jacobs de pointer le ministre de la Justice, qui "préfère instaurer le service minimum plutôt que d’attaquer le problème à la racine."
Et l’inquiétude monte encore d’un cran du côté des syndicats, depuis que des jeunes de moins de 26 ans, dans le cadre d’emplois Rosetta (convention premier emploi pour favoriser l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi) sont engagés comme agents pénitentiaires pour combler les trous. "A la surveillance des détenus, dénonce Claudine Coupienne. Quand on sait qu’un agent normalement doit être formé un an pour être opérationnel en toute sécurité". "Le ministre fait passer le budget avant la sécurité", regrette Michel Jacobs.
**L’Observatoire international des prisons refuse d’opposer droit de grève et droits des détenus**
Marie Berquin est la co-présidente de la section belge de l’Observatoire international des prisons (OIP). Ce service garanti est réclamé, dit-elle, depuis 2005 par le Comité contre la Torture (CPT). "Nous l’avons aussi réclamé". Et le gouvernement aurait même pu aller plus loin dans la liste des services à garantir aux détenus en cas de grève. "Globalement, il a répondu aux recommandations du CPT, mais il a des carences notamment en termes d’accès aux activités, d’accès aux commissions de surveillance, ou d’accès aux services psycho-sociaux de la prison. Là, rien n’est prévu".
Mais Marie Berquin refuse d’opposer droit de grève des agents et droits des détenus. "Ce qui est compliqué, dit-elle, c’est que ce qui est exigé comme droits des détenus en cas de grève, n’est déjà pas respecté dans certaines prisons en temps normal. Et puis il faut que ce service garanti, et la manière dont il va être mis en place se fasse en concertation avec les agents pénitentiaires. Il faut que le gouvernement travaille aussi sur tout ce que dénoncent les agents de longue date, comme leurs conditions de travail ou la surpopulation carcérale".
Et Marie Berquin se montre sévère : "Si on est obligé, nous OIP de se positionner en faveur d’un service garanti dans les prisons, parce que l’on constate que les violations des droits fondamentaux des détenus à l’occasion des grèves ne sont pas supportables, c’est que l’institution carcérale elle-même est un problème. Si elle met en opposition les droits fondamentaux des détenus et le droit de grève des agents pénitentiaires, c’est que l’institution elle-même est problématique. La question de la surpopulation carcérale, est souvent revendiquée par les agents, et à juste raison, mais ce n’est pas le seul problème. La situation est dramatique dans les annexes psychiatriques, l’accès aux soins est catastrophique, et il y a aussi beaucoup de choses revendiquées par les agents qui sont de nature à améliorer aussi les conditions de vie des détenus au sein des prisons."
Marie Berquin rappelle d’ailleurs que l’Etat belge a été condamné le 9 janvier dernier par le tribunal de Première Instance de Bruxelles à faire redescendre dans les 6 mois sous peine d’astreinte, le nombre de détenus des prisons de Saint Gilles et de Forêt à la capacité normale de ces prisons. L’Etat belge a été jugé responsable de la surpopulation carcérale.
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