Pour réintéresser les citoyens, les faire participer
C’est sans doute la ou plutôt les questions qui cogitent dans la tête des médias de services publics : comment peut-on ré-intéresser les citoyens à la politique, dans ce contexte de crise de confiance, voire de double crise de confiance si on inclut celle vis-à-vis des médias.
Pour François Jost, Professeur à la Sorbonne Nouvelle, spécialiste des médias, c’est en cela que le concept des 109 est intéressant : « La grande difficulté aujourd’hui, c’est que les gens ont tendance à penser que les journalistes mentent et les manipulent. Que ce soient des Belges « ordinaires » qui posent les questions, je pense que cela répond en partie à une demande. Redonner la parole aux gens, cela me paraît être une bonne solution. A condition qu’il y ait quelqu’un pour recadrer les gens quand ils disent des choses fausses. En France on a eu des émissions politiques de ce genre, notamment lorsque Nicolas Sarkozy répondait aux questions des Français dans un café. Mais là, on reprochait le fait qu’il n’y ait pas d’intermédiaire. Ici, on a un journaliste qui reformule la question, relance ».
Et puis autre défi, comment parler aux jeunes aussi « qui ne boudent pas forcément la télévision mais le téléviseur », comme le dit François Jost ? Des jeunes qui consomment des vidéos sur leurs smartphones, ou la télé « dé-linéarisée ». On y reviendra sans doute dans Inside.
« La gamification des contenus » comme outil de ré-enchantement
La « gamification » des contenus est une piste souvent explorée dans les médias. Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’IHECS et à l’ULB explique : « L’idée est de transférer les mécaniques du jeu dans des situations plus sérieuses comme celle du débat politique. Le jeu est utilisé comme un outil de ré-enchantement pour ré-intéresser une audience au débat politique par exemple ».
Ce ressort n’est pas seulement utilisé par les médias. « Aux Etats-Unis par exemple, en 2016, le parti démocrate avait lancé un jeu politique avec une application qui reprenait des codes de jeux vidéo. II s’agissait ici de 'gamifier' la politique pour ne pas perdre les précieux Millenials [Ou la Génération Y, l’ensemble des personnes nées entre 1980 et 1999 ] qui sont maintenant des électeurs. On invente de nouveaux contenus parce que les formats classiques ne sont plus regardés ».
Les limites de l'exercice : d'abord une performance médiatique
Pour Nicolas Baygert, la RTBF est donc dans son rôle de service public quand elle cherche à vulgariser et toucher de nouveaux publics. Mais il existe des limites, des dangers : « Il y a une prime au format court et peut-être à la démagogie, parce qu’il y a presqu’une obligation de répondre concrètement à des questions très complexes. Il n’y a pas de place à la contextualisation et à la nuance. […] Or, convaincre en deux minutes sur des sujets très larges, c’est une performance médiatique et non pas une performance démocratique ».
Un schéma binaire alors que la politique se fait dans la nuance
Guillaume Grignard, chercheur aspirant au FNRS, qui étudie les liens entre médias et politique, ne dit pas autre chose : « Je trouve ça très positif que les médias cherchent à renouveler le format. Le point central que j’ai vu, c’est vraiment le soin des équipes de la RTBF pour être dynamique et innovant ».
Mais Guillaume Grignard souligne deux écueils : « Il y a deux paramètres qui m’ont marqué : le manque de nuances. Les jeunes devaient dire s’ils étaient convaincus ou non. C’est un schéma très binaire. Alors que la politique se fait dans la nuance. Et puis le deuxième paramètre, c’est la vitesse. Les candidats étaient toujours chronométrés, il n’avait pas le droit de réplique. Et on se demande pourquoi la vitesse d’une intervention fait sa pertinence. Et c’est là que l’on se demande si c’est une émission politique ou du spectacle. Si c’est une émission politique, alors il faut de la nuance ».
Pour retisser la confiance, oser la complexité
Alors, que faire ? Il n’y a vraisemblablement pas de solutions miracles.
On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif
Arnaud Mercier, Professeur en communication Université Paris 2-Panthéon Assas reste sceptique. Ce changement de forme ne va pas réconcilier les gens avec la politique selon lui : « Il y a un vieil adage qui dit qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. La confiance ou non en la politique, ce n’est pas une question de forme. Je ne suis pas certain que le format médiatique suffise à convaincre des gens de s’intéresser à quelque chose auquel ils ont décidé de se détourner parce qu’ils estimaient que les gens n’étaient pas dignes de confiance. Même si vous changez les codes de présentation, il reste un tel niveau de défiance, cela risque de ne pas suffire pour attirer un nouveau public ».
Selon le chercheur français, « le schéma démocratique repose sur un schéma assez simple de l’imputation politique. A savoir : 'Belges, si vous votez pour moi, je vous fais la promesse que j’agirai. Et vous pourrez m’imputer la responsabilité des choses qui vont advenir. C’est ce que feront d’ailleurs les électeurs. C’est le jeu de l’imputation des responsabilités'. Or, il y a une crise d’imputation politique aujourd’hui. Parce qu’il y a un tas de domaines ou de champs d’action qui échappe à la possibilité d’agir du personnel politique ».
Ce n'est pas parce que c'est trop compliqué que les gens zappent
Arnaud Mercier fait référence à l’Union européenne avec laquelle on est dans une logique de codécision. Ou encore la lasagne institutionnelle en Belgique. Avec les différents niveaux de pouvoir, les choses sont souvent plus complexes qu’on ne le pense. Sans compter sur le rôle des multinationales qui ont aussi du pouvoir. « Ce n’est pas parce que c’est trop compliqué que les gens zappent. C’est parce que c’est un simulacre que les gens n’arrivent plus à y croire. Il faut rétablir la croyance dans le sens de montrer la réalité, la manière dont ça fonctionne. Y compris dans la complexité. Il faut rétablir la confiance ».
Rétablir la confiance, en offrant une information dans sa complexité, nuancée. Cela demande du temps. Les médias doivent le prendre. Mais il faut aussi que les citoyens leur accordent, ce temps devenu si précieux.
Aline Wavreille, RTBF
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